mercredi 12 septembre 2007

La musique de demain : une sonnerie de 10 secondes ?

Question posée le 18 juin 2007 par Yvan Boudillet (EMI Music France) sur le hub "Musique Mobile" de Viadeo:

Selon M:Metrics, les britanniques ont la plus grande pénétration de téléphones mobile à fonctions musicales d'Europe. Ce marché et ses évolutions préfigurent donc ce qui risque d'avoir lieu pour les autres pays développés : une industrie culturelle de plus en plus intrinsèquement liée au marché du mobile. Quelles conséquences, alors, pour la création artistique ?

On essaie souvent de nous faire croire que le business que mène l'industrie du disque ne conditionne pas la façon dont les artistes créent. C'est totalement faux, à commencer par la durée des morceaux. La standardisation amenée par cette industrie, liée autant aux contraintes de support (presser sur un vinyle) que promotionnelle (un titre assez court pour être diffusé sur les radios) a peu à peu défini des temps "optimaux" pour un morceau. Les titres dépassant les 5 minutes, chose courante autrefois, devinrent alors petit à petit des espèces hors normes ne pouvant sous aucun prétexte prétendre à une place de tube interplanétaire.

Aujourd'hui, les chiffres de cette industrie concordent tous pour dire que c'est la musique numérique, et en particulier la musique mobile, qui va prendre le pas sur le support physique.

En Grande Bretagne, là où le marché à ce niveau y est le plus avancé d'Europe, les téléchargements légaux constituent 80% de toutes les ventes de single et la moitié des charts. Une bonne partie de ces téléchargements sont issus de plateformes mobile, portant à 1,3 million le nombre de morceaux achetés en un mois dans ce seul pays, à partir de téléphones mobile.

Les barrières liées à la complexité du téléchargement et à la faiblesse de la pénétration 3G semblent bel et bien tombées, et acheter de la musique via un mobile devient une chose de plus en plus naturelle.

Quelles influences sur les conditions de création ?

Dans un contexte où ;

- D'une part, les sonneries tirées à partir de gimmicks de morceaux ne cessent d'augmenter, passant, d'après les estimations d'Informa, de 43% à 56% du marché britannique de la musique mobile pour 2007 ;

- D'autre part, 19% des propriétaires des utilisateurs de mobile anglais achèteront du contenu via leur téléphone en 2007, et que ce chiffre ne cessera d'augmenter à la mesure de la facilité d'achat grandie (voir l'iPhone) ;

- Et qu'enfin, les utilisateurs changent de sonnerie en moyenne trois à quatre fois par an ;

On pourrait se demander si cela n'influera pas les conditions de création. On passerait alors de l'ère du tube à 3min50 à celui du morceau de 10 secondes avec sa version longue superbement rébarbative.

Geoff Taylor, le chef exécutif de l'association des maisons de disque britanniques (BPI) réfute : "Le coeur du business de l'industrie du disque, à savoir travailler avec des artistes pour produire de la bonne musique, reste le même. Mais la manière pour chaque maison de disque de générer du retour sur leur investissement a profondément changé en quelques années à peine, et le mobile les aide à mener ce changement".

Avoir la classe, c'est d'abord avoir une bonne sonnerie

Pourtant, on commence à voir des morceaux apparaître explicitement conçus pour finir en sonnerie de mobile. Et ne croyez pas que cela se restreigne aux tubes crétins à la Crazy Frog, car les initiatives indépendantes se multiplient, même dans les niches musicales les plus expérimentales, à l'image du site français NoText.

D'ailleurs 80 % des consommateurs, selon une enquête de Dial-A-Phone, ont peur d'être ridiculisés par le choix de leur sonnerie. Ceci prouve encore une fois à quel point Bourdieu avait vu juste quand il imposait son concept selon lequel l'art serait avant tout un moyen de se distinguer par ses goûts.

Bref, si le marché poursuit sa lancée, tout porte à croire que de nouveaux impératifs de standardisation conditionneront de plus en plus la création musicale de demain, si ce n'est pas déjà fait. Le gimmick devient roi, bienvenue au siècle de l'art-sonnerie !

> Source Ratiatum.com


Commentaire posté le 12 septembre 2007 par Jérôme Pons sur le même hub:

Merci pour ce post qui en effet pose le problème de l'orientation de la créativité vers un support donné. Le support (vinyle, mp3, radio, sonnerie...) influence-t-il la créativité ?

Si on reprend le disque vinyle avec des faces limitées à environ 20 minutes, on se retrouve d'un côté avec des disques des années 60 avec des chansons de 2 minutes (du type Abbey Road des Beatles avec 5 à 7 titres par face) et d'un autre côté avec des disques des années 70 avec des chansons de 20 minutes (du type Meddle des Pink Floyd avec le titre "Echoes" de 23 minutes). Au final, c'est "Come Together" des Beatles et non pas "Echoes" qui était le plus enclin à être diffusé à la radio.

Avec l'arrivée du disque compact, la limite est partiellement levée sachant qu'un groupe peut réaliser une chanson de 74 minutes (très adapté à la musique classique) si bon lui semble ou bien une cinquantaine de chansons de 1 minute 30 (très adapté à la musique punk).

Avec la dématérialisation du support physique et l'arrivée des MP3, la durée d'un titre ne se pose plus car l'artiste n'est plus limité.

Du point de vue de la créativité, un musicien peut réaliser deux types de produits pour être diffusé sur la radio: des chansons (de moins de 5 minutes) et des jingles (de 5 secondes par exemple). Les usages sont tous deux différents car le jingle a pour but de matraquer la marque de la radio (rappelons-nous de "NRJ ouhouh meilleure par moments…"), c'est-à-dire promouvoir la radio, alors que la chanson a pour but de promouvoir l'artiste.

Quant aux sonneries de téléphones mobiles, l'artiste a deux solutions: la première consiste à réinterpréter un morceau (en le transformant au format MIDI ou en lui donnant un son "cheap" de type console Nintendo) et la seconde à interpréter un morceau à part entière (par exemple un riff rock'n'roll de 10 secondes). Une alternative pourrait être de choisir, parmi les morceaux existants les 10 secondes adéquates pour un passage à la radio (le début du refrain…) mais la contrainte de la durée se fait alors sentir (prenons par exemple les morceaux en écoute sur le site de la Fnac.com ou de Allmusic.com pour se rendre compte que l'extrait n'est pas toujours calé sur le meilleur moment subjectif du morceau).

En outre, les créateurs de musique électroniques possèdent une autre contrainte de tempo qui peut influencer leur création s'ils veulent être mixés par les DJ. Plus un morceau de musique électronique rentre dans les standards (par exemple BPM à 120 ou 160 et non pas 117 ou 143), plus le calage du morceau par rapport au morceau précédent sera aisé pour le DJ.

Mais dans le cadre de la musique mobile, la contrainte de tempo semble moindre.

Partons maintenant du principe que pour être diffusé sur les terminaux mobiles (sous forme de sonnerie, de MP3 téléchargé ou bien via la radio mobile), les artistes doivent rentrer dans des standards. Dans ce cas, comment pourront-ils se différencier (les clones ont la vie courte !)? Comment définir ce type de standard ?

Personnellement, je ne pense pas que la musique de demain sera une sonnerie de 10 secondes car si l'on écoute la musique par passion et pour se changer les idées, on ne peut raisonnablement pas lancer un titre, rentrer dans l'univers de l'artiste et se délecter de la chanson en 10 secondes. En revanche, si le seul moyen pour l'artiste pour générer des revenus, dans un monde de l'édition musicale en pleine mutation, est de composer des sonneries de 10 secondes, je veux bien changer mon point de vue!"

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